L’alimentation végétalienne pour le chien et le chat : un dilemme végane

L’alimentation végétalienne pour le chien et le chat : un dilemme végane

L’alimentation végétale pour les chiens et les chats est un sujet controversé dans la communauté végane. Raisons morales, preuves scientifiques, où en est le débat? Peut-on nourrir chiens et chats avec une alimentation végétale et répondre de façon adéquate à leurs besoins? Le vétérinaire Jean-Jacques Kona-Boun, DMV, MSc, diplômé de l’American College of Veterinary Anesthesia and Analgesia, répond aux principales questions sur l’alimentation végétalienne pour nos amis canins et félins et expose les arguments au coeur du débat.

L’alimentation végétale pour chats et pour chiens, un débat parfois tendu

L’alimentation à base de produits végétaux (« plant-based diet ») pour le chien et le chat suscite beaucoup de controverse et constitue le sujet d’un débat moral parfois tendu qui n’épargne pas la profession vétérinaire.

Les publications scientifiques sur le sujet et parues dans des journaux vétérinaires se multiplient, un mémoire de maîtrise en nutrition clinique portant sur l’alimentation canine et féline à base de plantes a même été récemment achevé.

Pour le chien (qui n’est pas un carnivore strict), il est clair qu’une alimentation sans produits animaux et équilibrée peut convenir dans certains contextes (il existe même au moins une marque de nourriture végétalienne de niveau médical, élaborée pour les patients allergiques, en plus des autres marques non médicales).

Ceci est loin de faire l’unanimité pour le chat (pour lequel des nourritures végétaliennes commerciales existent aussi), ce qui crée un dilemme pour les personnes ayant adopté le véganisme comme fondement moral de leurs choix de vie.

Les questions morales au cœur du débat

Certains considèrent qu’imposer une alimentation alignée avec des valeurs morales (ex. véganisme) à des êtres animaux (ex. chats, qui sont considérés comme des carnivores stricts) n’est pas moralement acceptable, car cela met en danger la santé de ces derniers.

Le dilemme des personnes véganes s’explique par le fait que, pour ces personnes, chaque être animal a le même droit à la vie heureuse et sans souffrance ainsi que le même droit d’être inclus dans notre cercle de considération morale et de compassion, aussi bien le porc que la vache que la poule, etc.

Pour les personnes véganes, chaque vie animale ayant la même valeur intrinsèque, il devient illogique de sacrifier un porc, par exemple, pour un chat, tout comme il n’y a personne, végane ou pas, qui accepterait de sacrifier son compagnon chien, lapin ou encore cheval, par exemple, pour nourrir son chat, même si ce dernier est carnivore strict.

Pour les personnes véganes, si l’on part de ce principe d’égalité des valeurs fondamentales des vies animales et de l’égalité des considérations morales qui leur sont dues, il est encore plus illogique de sacrifier plusieurs êtres animaux afin de permettre à un seul être animal domestiqué et sous notre garde (par opposition aux êtres animaux dans la nature) de vivre durant plusieurs années.

 

Faut-il reproduire l’alimentation à l’état naturel des chats et des chiens ou l’adapter à leur domestication?

Le débat moral repose, en partie, sur le caractère perçu comme non naturel d’une nourriture à base de plantes, surtout en ce qui concerne le chat.

À cela, certains répondent que dans ce cas il ne faut pas garder de chats dans sa maison, il ne faut pas les nourrir, mais plutôt les laisser chasser comme seul moyen d’alimentation ou bien piéger soi-même des oiseaux et des petits mammifères et leur donner, tels quels, comme nourriture, mais vivants, car le chat n’est pas un être animal charognard.

Le débat moral tend même parfois à dériver pour inclure comme argumentaire des aspects non naturels de la vie des chats qui n’ont plus rien à voir avec l’alimentation : par exemple, si l’on suit la logique « naturaliste », alors il ne faudrait pas les élever et les reproduire avec parfois la sélection artificielle de traits de conformation aberrants (ex. brachycéphalie) possiblement à l’origine de problèmes de santé, il ne faudrait pas les faire stériliser de manière routinière, il ne faudrait pas manipuler leur système immunitaire artificiellement en les vaccinant et surtout il ne faudrait pas leur faire subir la mutilation non thérapeutique qui consiste à amputer les dernières phalanges (chirurgie qui a pour nom onychectomie mais communément appelée « dégriffage » de manière euphémique) pour des raisons pratiques. Finalement, il ne faudrait pas leur faire subir quelque procédure médicale que ce soit, car les interventions de la médecine conventionnelle n’ont rien de naturel, la médecine moderne est tout sauf naturelle!

Alors, au vu de tous ces arguments, il paraît légitime de se demander pourquoi il ne serait pas possible d’envisager la possibilité que des nourritures commerciales végétaliennes, mais supplémentées (tout autant que les nourritures qualifiées de « carnivores ») et bien équilibrées puissent être adéquates pour les chiens et les chats domestiqués, qui de toute façon ont un mode de vie bien éloigné de celui de leurs homologues sauvages.

Il n’est actuellement pas possible de dire que toutes les nourritures végétaliennes disponibles pour les chiens et les chats sont adéquates.

Quelques nourritures végétaliennes commerciales ont été évaluées pour vérifier si elles répondaient aux normes de l’AAFCO (Association of American Feed Control Officials) et certaines ne satisfaisaient pas les exigences en ce qui concernait leur composition.

Bien que ceci ne constitue pas une évaluation clinique, mais uniquement une analyse biochimique des nourritures étudiées, c’est pour l’instant un standard de certification nutritionnelle. Par conséquent, actuellement il n’est pas possible de dire que toutes les nourritures végétaliennes disponibles pour les chiens et les chats sont adéquates, du point de vue de ces critères.

Cela n’implique pas pour autant que toutes les nourritures végétaliennes sont déséquilibrées ni, à l’inverse, que les nourritures à base de produits animaux sont automatiquement équilibrées par le simple fait qu’elles contiennent des ingrédients d’origine animale. De nombreux chats vivent « bien » depuis de nombreuses années avec certaines nourritures commerciales végétaliennes, mais il n’y a malheureusement pas eu d’évaluation médicale étroite et à long terme (pas plus que pour beaucoup de nourritures commerciales conventionnelles « carnivores »). Si l’on utilise ce genre de nourriture, il est recommandé de faire passer des examens de santé et des tests sanguins/urinaires régulièrement aux chats alimentés avec ces régimes.

Il est tout à fait possible de concevoir des nourritures végétaliennes pour chiens et pour chats qui respectent leurs besoins nutritionnels et qui répondent aux critères de l’AAFCO (Association of American Feed Control Officials) ainsi que de la FEDIAF (Fédération Européenne de l’Industrie des Aliments pour animaux Familiers) en y incorporant les suppléments appropriés.

Certaines personnes considèrent qu’ajouter des suppléments à une nourriture féline végétalienne afin de combler les besoins de ces carnivores n’est pas naturel.

À cela, d’autres répondent en rappelant que de toute façon rien n’est naturel dans l’alimentation (et même la vie en général) de la quasi-totalité des chats domestiques de nos jours.

Il est vrai que les chats, dans leur milieu naturel, ne vont pas pêcher les poissons dans la mer ou les rivières, ne vont pas chasser les porcs, les vaches ou les poulets, ne tètent pas le lait directement du pis des vaches ni ne le boivent dans un bol, ne mangent pas de la nourriture industrielle hautement transformée, en pâté dans des boîtes de conserve ou sous forme de croquettes dans des sacs, des nourritures transformées contenant des animaux qu’ils ne chasseraient pas dans la nature, etc.

Toutes ces nourritures qui sont régulièrement données aux chats, ces félidés n’auraient jamais été censés s’en nourrir si l’évolution naturelle avait suivi son cours et si la domestication par l’être humain n’était pas intervenue.

Les nourritures commerciales félines conventionnelles sont aussi supplémentées en nutriments synthétiques

De plus, les nourritures commerciales félines conventionnelles, même celles qui sont considérées comme étant de bonne qualité (notamment, mais non exclusivement, celles qui sont vendues dans les établissements vétérinaires), sont supplémentées avec plusieurs de ces nutriments (synthétiques) dont on craint tant les carences dans une alimentation végétalienne, car ils sont trouvés principalement ou exclusivement dans la nourriture à base de produits animaux : entre autres, la fameuse taurine si indispensable aux carnivores stricts que sont les chats, la vitamine A, la méthionine, la L-carnitine, la choline, la vitamine B12, la vitamine D, la L-lysine.

Une alimentation végétalienne est techniquement possible mais l’industrie de l’alimentation canine et féline doit s’y intéresser

Le problème n’est pas l’impossibilité technique, mais plutôt qu’actuellement l’industrie de l’alimentation canine et féline n’investit pas (ou pas suffisamment) dans la recherche et le développement de nourritures à base de plantes et que les nourritures végétaliennes pour chiens et chats actuellement disponibles n’ont pas fait l’objet d’études cliniques rigoureuses à long terme (toutefois, c’est également vrai pour de nombreuses nourritures commerciales conventionnelles).

Il faudrait juste que l’industrie y voie un marché intéressant. Les suppléments synthétiques sont déjà très couramment utilisés par l’industrie de l’alimentation canine et féline. Bien que le qualificatif « synthétique » puisse donner une image négative à ces suppléments, la plupart du temps ceux-ci sont issus de la biosynthèse par des micro-organismes, notamment des levures et des bactéries, et sont des extraits purifiés. De nombreux autres produits, incluant des médicaments, sont ainsi synthétisés par des micro-organismes.

Malgré la perspective réaliste de l’élaboration de nourritures canines et félines végétaliennes équilibrées, le dilemme végane demeure. Toutefois, ce n’est pas l’alimentation des chiens et des chats qui constitue le moteur/l’incitatif de la production actuelle de viande et des autres produits animaux, mais plutôt l’alimentation des êtres humains.

Puisque la consommation des produits animaux par les êtres humains ne cessera pas d’ici à demain, il y aura encore longtemps de quoi faire de la nourriture à base d’êtres animaux pour les chiens et les chats.

Il faut espérer que les compagnies de nourritures canines et félines finiront par voir un marché potentiel intéressant afin de se pencher de manière sérieuse sur la question de l’élaboration de nourritures dépourvues de produits animaux, avec les suppléments synthétiques appropriés et appuyées par des études cliniques rigoureuses validant leur usage.

Le nombre de personnes véganes ne cessant de grandir, ce qui pouvait initialement apparaître comme un marché marginal pourrait devenir un secteur fructueux pour les compagnies qui voudront l’explorer et y investir.

** Le Dr Kona-Boun reçoit de nombreuses sollicitations / questions, tant professionnelles qu’en lien avec son activisme. Ainsi, malgré toute sa bonne volonté, il ne pourra donner suite à aucune requête suivant cette chronique. **